Dans le spectre des violences faites aux femmes dans le cadre conjugal, celles dont sont victimes les aînées sont un grand tabou et font l’objet de peu d’études. Le 31 janvier 2023, Mme Christine Drouin, professionnelle de recherche à l’UQAM, a présenté les résultats de la recherche « Un modèle de concertation pour soutenir les aînées victimes de violences conjugales », co-réalisée avec la Professeure Lyse Montminy, lors d’une conférence-midi organisée par la Chaire Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés.
Cette étude est intervenue pour répondre au besoin d’une meilleure prise en charge de ces situations par les professionnel.le.s des maisons d’hébergement et des réseaux de la santé et des services sociaux. En effet, lors de la conférence, Mme Montminy a partagé avec les participants le contexte de vie très particulier dans lequel sont commises les violences conjugales chez les aînés, qui fait en sorte que peu de femmes parlent ou dénoncent ce qu’elles vivent. Ainsi, lorsque la parole se libère, il est indispensable que l’ensemble des besoins des victimes soient compris et pris en charge par les intervenant.e.s.
Le projet, financé par le Secrétariat à la Condition féminine du Québec, avait pour objectif de documenter les différentes manières qu’avaient les intervenant.e.s de se concerter et de coordonner leurs actions dans ce contexte, d’analyser ces pratiques pour finalement proposer un modèle « type» d’intervention en concertation à partir de ces expériences. Les chercheures ont donc réalisé des entretiens semi-dirigés auprès d’intervenant.e.s en maison d’hébergement et en CISSS/CIUSSS dans les régions de Chaudière-Appalaches, de Gaspésie, de Montréal et du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Les intervenant.e.s interrogé.e.s devaient avoir travaillé au moins 5 ans auprès de femmes de plus de 60 ans.
Le concept de « Travailler ensemble », dans le cadre de cette recherche, peut prendre plusieurs formes : des rencontres cliniques concertées, des consultations ou encore des références. En constatant qu’en majorité, il n’y avait pas de mécanisme de concertation mis en œuvre, les chercheures se sont demandé s’il était toujours nécessaire de « travailler ensemble ». Ce choix était surtout fait dans des contextes de vulnérabilité particuliers, lorsque les besoins de la personne allaient au-delà du mandat de l’intervenant.e, mais surtout avec le consentement de la femme concernée. Le secret professionnel est en effet un défi pour les intervenant.e.s, qui ne peuvent se concerter avec d’autres professionnel.le.s en dehors des cas de risques immédiats pour la sécurité de la femme, sans son accord préalable.
Ainsi, les chercheures ont dégagé les conditions de réussite, les obstacles et les apports de ces mécanismes de concertation, pour conclure que ceux-ci étaient bénéfiques, voire nécessaires. Elles ont pu établir que ces mécanismes de concertation nécessitaient que des objectifs clairs soient établis en amont de l’intervention; mais également que tou.te.s les intervenant.e.s aient connaissance de la problématique travaillée ainsi que différents partenaires qui pouvaient être impliqués. De plus, un engagement des acteur.ice.s, par leur intérêt, leur influence et leur implication autour de la problématique des violences conjugales chez les aînés est apparu indispensable à la réalisation des objectifs établis. De nombreux obstacles se posent lors d’une prise en charge concertée des besoins des femmes aînées victimes de violences dans le cadre conjugal. Pour n’en citer que quelques-uns: le manque d’accessibilité à certains services, les changements fréquents de personnel, les délais d’intervention liés à la surcharge de travail des professionnel.le.s, le manque d’adaptation des ressources aux aînées, etc. Malgré les défis, les chercheures ont constaté les nombreux bénéfices du travail concerté. Cela permet de mieux connaître les bonnes pratiques de certains services et de faire un échange d’expertise qui mène à des évolutions positives dans la prise en charge. De même, ces mécanismes de concertation favorisent la coordination et la continuité des services en impliquant davantage de partenaires qui peuvent être complémentaires dans leurs interventions.
Il sera intéressant de voir les retombées du rapport publié sur le site du Secrétariat à la Condition féminine du Québec, sur les pratiques des intervenant.e.s qui agissent, au quotidien, au soutien des femmes aînées victimes de violences conjugales.
Valérine Pinel
